Recherche
Chroniques
Maurice Ravel
L’heure espagnole – L’enfant et les sortilèges
À lorgner son atelier, il apparaît que Maurice Ravel (1875-1937) eut toute sa vie l’obsession de réaliser une œuvre lyrique originale. « J’ai fait quelques essais, confie le compositeur au journaliste Nino Franck cinq ans avant de disparaître, mais je n’ai pas encore trouvé la forme que je cherche. » Toute proportions gardées, que nous importent les projets scéniques non aboutis – Intérieur (1893) d’après Maeterlinck, Shéhérazade (1898), Olympia inspiré du romantique Homme au sable, les premiers actes féériques de La cloche engloutie finalement détruits à l’arrivée de la guerre, l’oratorio-ballet Morgiane à peine esquissé (1935), un Don Quichotte, une Jeanne d’Arc, etc. – quand deux chefs-d’œuvre ont pu voir le jour, malgré tout, et rencontrer le public de Glyndebourne, en août 2012 ?
Soucieux d’éblouir un père qui encourageait sa carrière musicale, l’amateur de contes [lire notre chronique du 13 février 2009] passe l’été 1907 à écrire la partition d’une « comédie musicale […] légère et bon enfant », d’après la pièce à succès de Franc-Nohain présentée à l’Odéon durant l’automne précédent. Il favorise une action alerte qu’il apprécie au théâtre, laquelle nécessite « l’abandon total des cadres formels de l’opéra classique et du drame lyrique » (dixit Jean-Michel Nectoux). La palette sonore est élargie (carillon, fouet, célesta, cor en sourdine, etc.), mais c’est le texte qui fait scandale, au point que L’heure espagnole est d’abord refusée. « Impossible d’imposer un pareil sujet aux oreilles candides des abonnés de l’Opéra-Comique [sic], écrit Ravel à Ida Godeska. Songez donc : ces amants enfermés dans des horloges que l’on monte dans la chambre ! On sait bien ce qu’ils vont y faire !! » (20 janvier 1908). L’acte-hommage à l’opera buffa est finalement créé le 19 mai 1911.
Loin des cours antiques baroques, Stéphanie d’Oustrac règne aujourd’hui sur une boutique aux allures de souk ! Nous n’avons pas toujours été tendres avec l’interprète d’une Carmen catastrophique [lire notre critique du DVD], mais son aisance nous bluffe, dans un répertoire qui dynamite carcans physiques et vocaux. À quand Les mamelles… ?! Tout aussi drôle en poète à « pattes d’eph », Alek Shrader (Gonzalve) ne manque pas de souffle. En « déménageur amateur », Elliot Madore (Ramiro) sait se montrer vaillant autant que délicatement nuancé, sans être chichiteux. François Piolino (Torquemada) offre un chant sonore et ferme, tandis que Paul Gay (Don Iñigo Gómez), quasi clone boulézien, s’avère à la fois ample et précis. À la tête du London Philharmonic Orchestra, Kazushi Ono est onctueux sans tomber dans la déliquescence.
Partageant l’intérêt artistique de Janáček pour les animaux des bois – La petite renarde rusée [lire notre critique du DVD] –, Ravel écrit à Colette : « imaginez tout ce que peut dire de la forêt un écureuil, et ce que ça peut donner en musique ! » La collaboration entre le musicien et l’écrivaine débute en 1916, autour de l’idée d’un ballet, mais c’est une fantaisie lyrique, L’enfant et les sortilèges, qui voit le jour à Monte-Carlo, le 21 mars 1925. « Je n’avais pas prévu qu’une vague orchestrale, constellée de rossignols et de lucioles, raconte la librettiste émue aux larmes par la scène du jardin, soulèverait si haut mon œuvre modeste. »
Rapidement épuisé dans la plupart de ses productions – Pelléas et Mélisande [lire notre critique du DVD], Don Quichotte [lire notre critique du DVD], etc. –, Laurent Pelly s’accommode mieux d’un ouvrage aux rapides saynètes ; celle des fauteuils est fascinante à souhait, celle du feu quasi infernale et celle du papier-peint abordée sans aucune condescendance, laissant place à l’émotion. Dans une production qui mêle avec équilibre épure et magie, on retrouve les cinq artistes de L’heure espagnole auxquels se mêlent notamment Khatouna Gadelia (L’enfant), Élodie Méchain (Sa mère, La tasse chinoise, etc.), Kathleen Kim (Le feu, La princesse, etc.) et Julie Pasturaud (La chaise, La chauve-souris). Disponible en disque Blu-ray (FRA 508), le film s’accompagne de deux reportages de dix et treize minutes.
LB